Compte-rendu du congrès annuel de l'Association pour le développement de l'histoire culturelle

Publié le par doctorants CHCSC

Associations de chercheurs
Compte-rendu du congrès annuel de l’ADHC





Le congrès annuel de l’Association pour le développement de l’histoire culturelle (ADHC) présidée par Pascal Ory (Paris I) a eu lieu le samedi 26 septembre 2009 à Sciences Po à Paris. Dans la matinée, Michelle Perrot dont le nouveau livre Histoire de chambres sortira bientôt aux Editions du Seuil, a présenté une communication sur le thème : " Voyage au centre de la France du XIXème siècle : le Nohant de Georges Sand ". L’après-midi a été consacrée à réfléchir à une histoire échappant au cadre de l’Etat-nation, l’histoire mondiale. Trois chercheurs ont présenté leurs travaux. Chloé Maurel (UVSQ), historienne des organisations et auteur d’une thèse sur l’histoire de l’UNESCO, a présenté sa recherche actuelle sur les effets de la mondialisation sur les pratiques du travail. Svetla Moussakova (Paris 3), qui travaille sur les échanges culturels en Europe et leurs problématiques identitaires, a proposé un recensement des pratiques académiques d’histoire culturelle à l’Est de l’Europe. Ludovic Tournès (Paris X), qui travaille sur la notion d’américanisation, s’était d’abord intéressé à la réception du Jazz en France, avant de faire aujourd’hui l’histoire des fondations philanthropiques américaines transnationales. Le débat était animé par Laurent Martin (Sciences Po), secrétaire de l’ADHC.


L’histoire culturelle dénationalisée et transfrontalière doit être distinguée de l’histoire culturelle internationale qui porte sur les relations entre Etats-nations recoupant l’histoire de la diplomatie culturelle prise au sens large.

Chloé Maurel travaille sur les organisations internationales. De tels objets présentent de nombreuses difficultés méthodologiques, cependant l’évolution des conceptions des institutions internationales doit être observée par l’historien culturel tant elle suit et impulse l’évolution de la société. Ses travaux sur l’UNESCO concluent à un changement de cap de l’institution dans les années 1960. Ce tournant est caractérisé par le passage d’une action universaliste tournée vers l’avenir oeuvrant à  l’homogénéisation des cultures, à une action multi culturaliste de conservation du passé. Chloé Maurel commence aujourd’hui une histoire des cultures du travail à travers l’observation de l’ensemble des acteurs de la mondialisation : la société civile avec les associations de citoyens, les organisations non gouvernementales, et les fondations d’une part, les organisations internationales et les institutions publiques de régulation d’autre part, mais également les acteurs privés de l’économie et de la finance. Elle s’intéresse aux dynamiques de leurs interactions et à leur impact sur les pratiques sociales et culturelles du travail, ainsi que leurs effets sur la production.  Chloé Maurel soulève un paradoxe : deux phénomènes contradictoires, l’uniformisation et la diversification du monde, sont à l’œuvre simultanément dans la globalisation de l’économie. L’historien culturel doit s’emparer de ce chantier vaste et encore peu fouillé par les historiens à travers une étude transnationale de la culture du travail et de l’histoire de la production industrielle.

Svetla Moussakova a montré comment l’histoire culturelle est étudiée à l’est de l’Europe : dans quelles disciplines dites classiques elle s’insère, quels sont les objets qu’elle privilégie. Il s’agit de comprendre ces choix effectués par les universités est-européennes à travers l’observation attentive du processus de construction identitaire de ces pays, prenant en compte leurs histoire et leurs traditions académiques. Car quand bien même ils comptent certains éléments communs, ces pays restent très différents au regard de ces trois facteurs. L’histoire culturelle est généralement accueillie par les facultés de philosophie et de culturologie, mais parfois aussi, comme c’est le cas en Hongrie, par les facultés d’histoire de l’art ou d’humanités. Elle appartient aux facultés d’études européennes en Roumanie et en Serbie. Quant aux objets privilégiés par l’histoire culturelle à l’Est de l’Europe, il existe là aussi une variété de situations. L’étude des genres intéresse les chercheurs en  République Tchèque, les politiques culturelles et les cultures balkaniques prévalent en Serbie, et le livre en Hongrie. En Bulgarie, un fort développement de la folkloristique est caractéristique. Le cas de la Russie est particulièrement intéressant. Les départements d’histoire culturelle proposent des axes de recherche extrêmement liés à la communication et au management. Sur les raisons qui motivent ce choix, Svetla Moussakova citait les propos d’un homme politique président de l’université Lomonosov de Moscou: « On ne peut pas faire de la politique sans avoir fait des études culturelles ». Un exemple a été donné dans ce sens lors de la discussion qui a suivi la communication de Svetla Moussakova. Le colloque international et interdisciplinaire des doctorants Culturhisto 2009 qui a eu lieu à l’Université de Versailles Saint Quentin en Yvelines portait sur les représentations médiatiques de l’homme politique (XVIIIe-XXIe siècle). Il a suscité un intérêt considérable de la part des Russes qui ont soumis 35 propositions de communication sur un total de 87 réponses à l’appel à contribution.
Si les chercheurs est-européens - les Russes les premiers - démontrent un intérêt croissant pour l’histoire culturelle du politique, c’est parce qu’elle est comprise comme un outil permettant de s’interroger sur l’identité nationale. Les approches privilégiées témoignent d’un ancrage national fort des chercheurs qui ont souvent trop peu de distance avec leurs objets.

Après s’être intéressé à la réception française d’un phénomène américain, Ludovic Tournès a travaillé sur les politiques internationales des grandes fondations philanthropiques américaines. Il a identifié dans ses propres travaux et ceux des historiens de l’américanisation contemporains une série de problèmes. Le premier est lié à l’assimilation systématique des notions d’américanisation et d’acculturation. L’acculturation implique le face à face de deux cultures autonomes dont l’une diffuse et l’autre reçoit, l’une domine et l’autre est dominée. Cette vision essentialiste de la culture est issue des outils conceptuels de l’anthropologie culturelle des années 1930 qui sont repris sans être révisés par les historiens de l’américanisation dans les années 1980.  Cette vision présente une dangereuse insuffisance en ce qu’elle néglige la dynamique du pays d’accueil qui réagit à ce qui lui est présenté. Ludovic Tournès propose une explication à ce problème de l’historiographie française: la domination américaine de l’après Seconde Guerre Mondiale engendre un manque d’objectivité des chercheurs qui ne parviennent pas à se dégager de son influence.
La recherche sur l’américanisation présente un autre problème. Elle concentre son analyse sur le récepteur et omet d’interroger l’émetteur. La lacune est critique. En mettant l’émetteur au cœur de l’analyse, la recherche donnerait la place qui lui revient à la capacité américaine d’acculturation et de digestion de tous les éléments qui l’influencent de l’extérieur.
Enfin, Ludovic Tournès a souligné deux pesanteurs. D’une part, la perspective diffusionniste héritée du culturalisme tend à confisquer aux pays d’accueil leurs dynamiques propres, préexistantes à l’arrivée du pays d’exportation et qui lui survivent à son départ. Cette vision néglige la capacité de réaction des pays d’accueil en établissant un schéma unilatéral de diffusion puis réception. Ludovic Tournès a au contraire observé qu’il s’agit du croisement synchronique de deux dynamiques, sans que l’une subisse l’autre : la fondation américaine mise en contact avec le pays d’accueil est à son tour importatrice aux Etats-Unis de nouvelle pratiques et conceptions. Il s’agit donc d’une perspective circulatoire et non diffusionniste. D’autre part, la perspective bilatérale continue à être largement préférée par les historiens à la perspective multilatérale qui semble pourtant être la seule valable. En effet, mesurer la portée de l’influence d’une culture sur une autre ne peut se faire qu’en la comparant à l’influence de cultures tierces Pour percevoir l’étendue de l’influence de la culture américaine en France, il faut pouvoir la comparer avec l’influence en France de la culture allemande, ou italienne par exemple.

Les historiens de l’ADHC ont présenté diverses solutions qu’apporte l’histoire mondiale aux problèmes de l’histoire culturelle internationale. La discussion qui a succédé aux trois communications a porté sur la proposition de Niels Fabian May : le passage d’une histoire culturelle à une histoire globale s’explique avant tout par le changement du groupe référent d’acteurs dont on étudie les représentations. En histoire culturelle, les acteurs considérés sont les Etats tandis qu’en histoire mondiale, ce sont les hommes. Chloé Maurel a confirmé qu’en effet, le transnational est un moyen de réinterroger les découpages nationaux et sociaux pratiqués par l’histoire culturelle.


Sophie Kienlen
Centre d’histoire culturelle des sociétés contemporaines
Université de Versailles saint Quentin en Yvelines


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